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Laisser sa trace

Aujourd'hui, je voudrais parler de cette peur que je partage avec certaines personnes. La peur de disparaître. Le besoin de laisser une trace. C'est un besoin paradoxal pour moi car, logiquement, le plus pratique pour moi serait que personne n'ait aucun souvenir de moi et que je puisse me balader librement avec une identité gratuite (un peu comme quand tu es oublié dans la cour de l'école alors que tout le monde est en classe). Je pense que cette liberté serait bénéfique pour la plupart des gens, ils seraient plus libres, mais cela leur causerait un grave tort, un tort au niveau de l'esprit, ça leur ruinerait leur moral. Pourquoi est-ce que j'écris ce texte ? Pour que quelqu'un le lise ? Pourquoi est-ce que je veux que quelqu'un le lise ? Pour laisser une trace. Pourquoi vouloir laisser une trace ? Pour ne pas disparaître sans que ça passe inaperçu, ce serait désastreux. Peut-être est-ce un problème d'ego... peut-être est-ce un problème d'hypocondrie couplé à une peur de mourir... peut-être est-ce juste l'envie qu'on me parle ou qu'on parle de moi; je ne sais pas mais c'est un besoin assez important pour bafouer toute logique qui pourrait régner sur mon esprit.

Je suis sur une instance Mastodon d'art, et pour être honnête, je pense que seulement une dizaine de personnes sur cette instance ont un besoin de se différencier fondamental afin de faire en sorte qu'on se rappelle d'eux ne serait-ce que pendant un mois ou un an. La vie numérique passe à toute vitesse, je suis autant coupable que les autres, je passe d'un artiste à l'autre sans me soucier de ce qui pourrait se passer dans leur carrière ou dans leur vie, s'ils sont méprisés, s'ils sont adorés, je passe outre, j'écoute juste, en changeant d'artiste du moment tous les dix jours. Les seuls qui restent, ils se démarquent, sinon, ils disparaissent. Internet est comme le monde de la BD ou le monde du cinéma, tu le parcours à toute allure, sans te soucier de quoi que ce soit, sans regarder quelque chose de correct quatre-vingt-dix pourcent du temps. Internet te fournit en artistes jetables, que tu vas remplacer au bout de deux jours, tu t'exclames

« Oh, que c'est bô ! »

et tu oublies leur nom le lendemain. Mais dans un sens c'est avantageux, car dans la vie réelle, les artistes médiocres sont toujours là, mais tu ne peux que les oublier à vitesse petit v. Les expositions, souvent passables, montrent des choses. Rien qui va vous lancer vers une vénération de l'auteur, vers un culte de la personnalité voué à l'artiste, juste un

« Mouais,c'est pas mal ».

Même certains artistes influents sont toujours dans cette hauteur de Mouais qui peut impressionner, on dira que c'est techniquement fort, que c'est "plaisant" (mon mot favori), mais contrairement à certains qui arrivent à focaliser presque unaninement les spectateurs, les critiques actuels, ou les divers internautes que j'ai croisés, ils n'arriveront pas à se marquer assez dans l'imaginaire collectif pour dépasser le stade de village de l'art. Ils ne seront jamais une métropole.

Je ne serai jamais une métropole, mais je peux essayer d'être un village. Passer de zéro à deux-cents (je ne parle bien évidemment pas d'abonnés sur les réseaux hein, ça ne vaut rien), mourir et disparaître en dehors de la mémoire de mes proches à mourir et rester dans la mémoire de certaines personnes car ce que j'ai fait au cours de ma vie a eu un effet sur eux. Être capable de rendre quelqu'un triste. On n'est même pas triste quand nos proches meurent, alors être triste quand un inconnu disparaît. C'est un objectif, effacer cette peur de disparaître; même si je sais qu'elle ne partira jamais. Comment est-ce que Michou ou Jake Paul vivent leur vie en étant au courant qu'ils vont disparaître de l'imaginaire collectif après trente ans ? Est-ce que ça leur va ? Que leur seul souvenir soit un vieux t-shirt ou un poster ? J'ai cité Jake Paul, mais je ne sais même plus s'il fait des vidéos, il a déjà été oublié. Comme tous les vidéastes Minecraft du début des années 2010. Ils partent avec beaucoup d'argent mais n'ont rien fait de concret. Ils ont été inutiles, ont été une distraction qui a fait perdre du temps à une partie de la population. Certes, ça a pu soulager certaines personnes qui vivaient une période difficile à ce moment-là, mais autant s'évader avec quelque chose de qualitatif, pas avec des excréments. C'est ça la plupart de la production que j'ai vue en BD, au cinéma, en romans, en dessins, en peinture, en vidéos, des excréments.

FIN