Liste de citations

     L'unité de l'humanité signifie : personne ne peut s'échapper
     nulle part.

     (Page 26)

     Ce qu'Orwell nous dit aurait pu être dit aussi bien (ou plutôt
     beaucoup mieux) dans un essai ou dans un pamphlet. En revanche
     , ces romanciers découvrent "ce que seul un roman peut
     découvrir" : ils montrent comment, dans les conditions des 
     "paradoxes terminaux", toutes les catégories existentielles 
     changent subitement de sens.

     (Page 27)

     Mais je ne veux pas prophétiser les chemins futurs du roman dont
     je ne sais rien; je veux seulement dire : si le roman doit 
     vraiment disparaîte, ce n'est pas qu'il soit au bout de ses 
     forces mais c'est qu'il se trouve dans un monde qui n'est plus le
     sien.

     (Page 32)

     Mais si Dieu s'en est allé et si l'homme n'est plus maître, qui
     donc est maître ? La planète avance dans le vide sans aucun maître.
     La voilà, l'insoutenable légèreté de l'être.

     (Page 60)

     Le romancier n'est ni historien ni prophète : il est explorateur
     de l'existence.

     (Page 63)

     Quand les valeurs, jadis si sûres, sont mises en question et 
     s'éloignent, tête baissée, celui qui ne sait pas vivre sans elles
     (sans fidélité, sans famille, sans patrie, sans discipline, sans 
     amour) se sangle dans l'universalité de son uniforme jusqu'au
     dernier bouton comme si cet uniforme était encore le dernier
     vestige de la transcendance pouvant le protéger contre le froid de
     l'avenir où il n'y aura plus rien à respecter.

     (Page 71)

     Une forme qui met énormément en valeur l'intrigue avec tout son 
     appareil de coïncidences inattendues et exagérées. Labiche. Rien
     n'est devenu plus suspect dans un roman, plus ridicule, désuet,
     de mauvais goût que l'intrigue avec ses excès vaudevillesques.
     A partir de Flaubert, les romanciers tentent d'effacer les 
     artifices de l'intrigue, le roman devenant ainsi souvent plus
     gris que la plus grise des vies. Pourtant, les premiers romanciers
     n'ont pas eu ces scrupules devant l'improbable.

     (Page 118)

     Dans le monde kafkaïen, le dossier ressemble à l'idée platonicienne.
     Il représente la vraie réalité, tandis que l'existence physique de
     l'homme n'est que le reflet projeté sur l'écran des illusions. En
     effet, et l'arpenteur K. et l'ingénieur praguois ne sont que les
     ombres de leurs fiches; et ils sont encore beaucoup moins que cela :
     ils sont les ombres d'une erreur dans un dossier, c'est-à-dire des 
     ombres n'ayant même pas droit à leur existence d'ombre.

     (Page 128)

     Écrire signifie donc pour le poète briser une cloison derrière 
     laquelle quelque chose d'immuable ("le poème") est caché dans l'ombre.
     C'est pourquoi (grâce à ce dévoilement surprenant et subit) "le poème"
     se présente à nous tout d'abord comme un éblouissement.

     (Page 143)

     GRAPHOMANIE. N'est pas la manie "d'écrire des lettres, des journaux 
     intimes, des chroniques familiales (c'est-à-dire d'écrire pour soi ou
     pour ses proches), mais d'écrire des livres (donc d'avoir un public
     de lecteurs inconnus) " (Le livre du rire et de l'oubli).
     N'est pas la manie de créer une forme mais d'imposer son moi aux 
     autres. Version la plus grotesque de la volonté de puissance.

     (Page 160 - 161)

     Or, le romancier n'est le porte-parole de personne et je vais pousser 
     cette affirmation jusqu'à dire qu'il n'est même pas le porte-parole de
     ses propres idées. Quand Tolstoï a esquissé la première variante d'Anna
     Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique 
     n'était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien
     différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses
     idées morales, je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une
     autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce
     que j'aimerais appeler la sagesse du roman.

     (Page 194)