Liste de citations

 
      Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la
      soucoupe sont choses au suprême degré; il s'arrête à la qualité du son ou de la
      forme, il y revient sans cesse et s'en enchante, c'est cette couleur-objet
      qu'il va transporter sur sa toile et la seule modification qu'il lui fera subir
      c'est qu'il la transformera en objet imaginaire.

      (Page 14 - 15)

      Les poètes sont des hommes qui refusent d'utiliser le langage. Or, comme c'est
      dans et par le langage conçu comme une certaine espèce d'instrument que s'opère
      la recherche de la vérité, il ne faut pas s'imaginer qu'ils visent à discerner
      le vrai ni à l'exposer.

      (Page 18)

      Le poète est hors du langage, il voit les mots à l'envers, comme s'il
      n'appartient pas à la condition humaine et que, venant vers les hommes, il
      rencontrât d'abord la parole comme une barrière. Au lieu de connaître d'abord
      les choses par leur nom, il semble qu'il ait d'abord un contact silencieux avec
      elles puis que, se retournant vers cette autre espèce de choses que sont pour
      lui les mots, les touchant, les tâtant, les palpant, il découvre en eux une
      petite luminosité propre et des affinités particulières avec la terre, le ciel
      et l'eau et toutes les choses crées.

      (Page 20)

      Sans doute l'écrivain engagé peut être médiocre, il peut même avoir conscience
      de l'être, mais comme on ne saurait écrire sans le projet de réussir
      parfaitement, la modestie avec laquelle il envisage son oeuvre ne doit pas le
      détourner de la construire comme si elle devait avoir le plus grand
      retentissement. Il ne doit jamais se dire : << Bah c'est à peine si j'aurai
      trois mille lecteurs >>; mais << qu'arriverait-il si tout le monde lisait ce
      que j'écris ? >>

      (Page 29)

      Le livre ne sert pas ma liberté : il la requiert. On ne saurait en effet
      s'adresser à une liberté en tant que telle par la contrainte, la fascination ou
      les suppliques. Pour l'atteindre, il n'est qu'un procédé : la reconnaître
      d'abord, puis lui faire confiance; enfin exiger d'elle un acte, au nom
      d'elle-même, c'est-à-dire au nom de cette confiance qu'on lui porte.

      (Page 54)

      Si nous voulons aller plus loin, il faut nous rappeler que l'écrivain, comme
      tous les autres artistes, vise à donner à ses lecteurs une certaine affection
      que l'on a coutume de nommer plaisir esthétique et que je nommerais plus
      volontiers, pour ma part, joie esthétique; et que cette affection, lorsqu'elle
      paraît, est signe que l'oeuvre est accomplie.

      (Page 64)

      Engagé à quoi ? demandera-t-on. Défendre la liberté, c'est vite dit. S'agit-il
      de se faire le gardien des valeurs idéales, comme le clerc de Benda avant la
      trahison, ou bien est-ce la liberté concrète et quotidienne qu'il faut
      portéger, en prenant parti dans les luttes politiques et sociales ? La question
      est liées à une autre, fort simple en apparence mais qu'on se pose jamais : <<
      Pour qui écrit-on ? >>

      (Page 72)

      L'écrivain est médiateurs par exceellence et son engagement c'est la médiation.
      Seulement s'il est vrai qu'il faut demander des comptes à son oeuvre à partir
      de sa condition, il faut se rappeler aussi que sa condition n'est pas seulement
      celle d'un homme en général mais précisément celle d'un écrivain. Il est Juif
      peut-être, et Tchèque et de famille paysanne, mais c'est un écrivain juif, un
      écrivain tchèque et de souche rurale.

      (Page 84)

      Lorsque Flaubert déclare, par exemple qu'l << appelle bourgeois tout ce qui
      pense bassement >> il définit le bourgeois en termes psychologiques et
      idéalistes, c'est-à-dire dans la perspective de l'idéologie qu'il prétend
      refuser. Du coup il rend un signalé service à la bourgeoisie : il ramène au
      bercail les révoltés, les désadaptés qui risquerait de passer au prolétariat,
      en les persuadant qu'on peut dépouiller le bourgeois en soi-même par une simple
      discipline intérieure ; si seulement ils s'exercement dans le privé à penser
      noblement, ils peuvent continuer à jouir, la conscience en paix, de leurs
      biens et des leurs prérogatives; ils habitent encore bourgeoisement, jouissent
      encore bourgeoisement de leurs revenus et fréquentent des salons bourgeois,
      mais tout cela n'est plus qu'une apparence, ils se sont élevés au-dessus de
      leuyr espèce par la noblesse de leurs sentiments. Du même coup il donne à ses
      confrères le truc qui leur permettra de garder en tout cas une bonne conscience
      : car la magnanimité trouve son application privilégiée dans l'exercice des
      arts.

      (Page 131)

      (Puis, en parlant des surréalistes et de Breton)

      C'est ainsi que, après avoir loué les suicides de Vaché et de Rigaut comme des
      actes exemplaires, après avoir présenté le massacre gratuit (<< décharger son
      revolver sur la foule>>) comme l'acte surréaliste le plus simple, ils appellent
      à leur aide le péril jaune. Ils ne voient pas la contradiction profonde qui
      oppose ces destructions brutales et partielles au processus poétique
      d'anéantissement qu'ils ont entrepris

      (Page 191)

      L'orginalité du mouvement surréaliste réside dans sa tentative pour
      s'approprier tout à la fois : le déclassement par en haut, le parasitisme,
      l'aristocratie, métaphysique de consommation, et l'alliance avec les forces
      révolutionnaires.

      (Page 194)

      Mais d'autre part, battus, brûlés, aveuglés, rompus, la plupart des résistants
      n'ont pas parlé; ils ont brisé le cercle du Mal et réaffirmé l'humain, pour
      eux, pour nous, pour les tortionnaires mêmes. Ils l'ont fait sans témoins ,
      sans secours, sans espoir, souvent même sans foi. Il ne s'agissait pas pour eux
      de croire en l'homme mais de le vouloir. Tout conspirait à les décourager :
      tant de signes autour d'eux, ces visages penchés sur eux, cette douleur en eux,
      tout concourait à leur faire croire qu'ils n'étaient que des insectes, que
      l'homme est le rêve impossible des cafards et des cloportes et qu'ils se
      réveilleraient vermine comme tout le monde.

      (Page 219)

      Mais après tout, l'art d'écrire n'est pas protégé par les décrets immuables de
      la Providence; il est ce que les hommes le font, ils le chosissent en se
      chosissant. S'il devait se tourner en pure propagande ou en pur divertissement,
      la société retomberait dans la bauge de l'immédiat, c'est-à-dire dans la vie
      sans mémoire des hyménoptères et des gastéropodes. Bien sûr, tout cela n'est
      pas si important : le monde peut fort bien se passer de la littérature. Mais il
      peut se passer de l'homme encore mieux.

      (Page 295)