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      Toutes les industries, tous les métiers et tous les arts ont gagné à la
      division du travail. La raison en est qu'alors ce n'est pas un seul qui fait
      tout, mais que chacun se borne à une certaine tâche qui, par son mode
      d'éxecution, se distingue sensiblement des autres, afin de pouvoir s'en
      acquitter avec la plus grande perfection possible et avec plus d'aisance. Là où
      les travaux ne sont pas ainsi distingués et divisés, où chacun est un artiste à
      tout faire, les industries restent encore dans la plus grande barbarie. Or ce
      serait sans doute un objet qui en lui-même ne serait pas indigne d'examen que
      de se demander si la philosophie pure n'exige pas dans toutes ses parties un
      homme spécial qui soit à elle, et si pour l'ensemble de cette industrie qui est
      la science, il ne vaudrait pas mieux que ceux qui sont habitués à débiter,
      conformément au goût du public, l'empirique mêlé au rationnel en toutes sortes
      de proportions qu'eux-mêmes ne connaissant pas, qui se qualifient eux-mêmes de
      vrais penseurs tandis qu'ils traient de songe-creux ceux qui travaillent à la
      partie purement rationnelle, que ceux-là, dis-je, fussent avertis de ne pas
      mener de front deux occupations qui demandent à être conduites de façon tout à
      fait différente, dont chacune exige peut-être un talent particulier, et dont la
      réunion en une personne ne fait que des gâcheurs d'ouvrage.

      (Page 76)

      Or, dans l'intention où je suis de publier un jour une Métaphysique des moeurs,
      je la fais précéder de ce livre qui en pose les fondements. Sans doute il n'y a
      à la rigueur, pour pouvoir la fonder, que la Critique d'une raison pure
      pratique, comme pour fonder la Métaphysique il faut la Critique de la raison
      pure spéculative que j'ai déjà publiée. Mais d'une part, la première de ces
      Critiques n'est pas d'une aussi extrême nécessité que la seconde, parce qu'en
      matière morale la raison humaine, même dans l'intelligence la plus commune
      peut-être aisément portée à un haut degré d'exactitude et de perfection, tandis
      que dans son usage théorique, mais pur, elle est tout à fait dialectique;
      d'autre part, pour la Critique d'une raison pure pratique, si elle doit être
      complète, je crois indispensable que l'on se mette à même de montrer en même
      temps l'unité de la raison pratique avec la raison spéculative dans un principe
      commun; car, en fin de compte,  il ne peut pourtant y avoir qu'une seule et
      même raison, qui ne doit souffrir de distinction que dans ses applications.

      (Page 82 - 83)

      De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général
      hors du monde, il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si
      ce n'est seulement une bonne volonté. L'intelligence, le don de saisir les
      ressemblances des choses, la faculté de discerner le particulier pour en juger,
      et les autres talents de l'esprit, de quelque nom qu'on les désigne, ou bien le
      courage, la décision, la persévérance dans les desseins, comme qualités du
      tempérament, sont sans doute à bien des égards choses bonnes et désirables;
      mais ces dons de la nature peuvent devenir aussi extrêmement mauvais et
      funestes si la volonté qui doit en faire usage, et dont les dispositions
      propres s'appellent pour cela charactère, n'est point bonne. Il en est de même
      des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse, la considération, même la
      santé ainsi que le bien-être complet et la contentement de son état, ce qu'on
      nomme le bonheur, engendrent une confiance en soi qui souvent aussi se
      convertit en présomption, dès qu'il n'y a pas une bonne volonté pour redresser
      et tourner vers des fins universelles l'influence que ces avantages ont sur
      l'âme, et du même coup tout le principe de l'action; sans compter qu'un
      spectateur raisonnable et impartial ne saurait jamais éprouver de satisfaction
      à voir que tout réussisse perpétuellement à un être que ne relève aucun trait
      de pure et bonne volonté, et qu'ainsi la bonne volonté paraît constituer la
      condition indispensable même de ce qui nous rend dignes d'être heureux.

      (Page 87 - 88)